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carl schmitt - Page 7

  • Cinquante ans de reniement de l'hértage gaullien...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque l'héritage gaulliste. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « De Pompidou à Macron, les successeurs du Général ont, à des degrés divers, renié l’héritage gaulliste ! »

    On commémore, cette année, le 80e anniversaire de l’appel du 18 juin, le 130e anniversaire de la naissance du général de Gaulle et le 50e anniversaire de sa mort. Depuis déjà un certain temps, tous les hommes politiques se disent plus ou moins gaullistes. Est-ce parce que le Général a été notre dernier « grand homme » ?

    Je me méfie de la notion de « grand homme », qui n’est pas dépourvue de sens mais qui reste quand même un peu floue. Elle rejoint trop souvent le mythe droitier de « l’homme providentiel » auquel on a régulièrement recours quand on s’imagine qu’en politique, le succès peut tomber du ciel. Il ne faut pas oublier non plus que, si les grands hommes font les grandes époques, ce sont aussi les circonstances exceptionnelles qui font surgir les hommes d’exception. Cela dit, il est bien vrai que la comparaison entre de Gaulle et ceux qui lui ont succédé n’est pas à l’avantage de ces derniers. Pour ne prendre qu’un exemple, quand de Gaulle, en juillet 1959, demande à Michel Debré de créer un ministère des Affaires culturelles pour le confier à André Malraux, on n’est pas dans la même dimension historique que lorsque Macron désigne l’actuel ministre de la Culture, dont j’ai déjà oublié le nom. Inévitablement, quand on parle de De Gaulle, le terme de « grandeur » vient à l’esprit. Nous vivons dans une époque désespérément plate. Le gaullisme, c’était la verticalité. Lui a-t-on assez reproché d’avoir instauré une « monarchie républicaine » !

    De Pompidou à Macron, tous ses successeurs, à la possible exception de Mitterrand, ont à des degrés divers renié l’héritage du Général. Le seul point qui fasse consensus, c’est la force nucléaire dont le fondateur de la Ve République a su doter notre pays malgré l’opposition frénétique des États-Unis. Pour le reste… Dans le champ politique, le dernier vrai gaulliste a probablement été Philippe Séguin. Si, aujourd’hui, tout le monde se prétend gaulliste, c’est à la fois par démagogie (la popularité du Général reste très forte dans l’opinion) et parce qu’à leurs yeux, cela n’engage à rien. Ceux qui prennent cette posture arguent en général du « pragmatisme » du Général pour vider le gaullisme de tout contenu idéologique. « Le gaullisme est une pensée non doctrinale », disait Chirac. « C’est avant tout un pragmatisme », assénait Juppé. « Il se tient loin des idéologies et des systèmes », renchérissait Balladur. Procédé d’une rare malhonnêteté, qui permet de légitimer n’importe quelle trahison, alors que de Gaulle n’a jamais eu recours qu’à un pragmatisme du choix des moyens. Sur les principes, il est toujours resté ferme. Dans sa conférence de presse du 9 septembre 1968, il avait d’ailleurs lui-même défini le gaullisme comme un « système de pensée, de volonté et d’action », c’est-à-dire comme à la fois une pensée et une philosophie. De Gaulle n’avait pas de programme, mais un projet.

    De son vivant, le « grand Charles » a pourtant été loin de faire l’unanimité. Faut-il le voir comme l’homme de la Résistance et de la Libération, comme celui qui a « largué » l’Algérie française ou comme le père fondateur de la Ve République ? Que faut-il retenir de lui ?

    Pour la génération à laquelle j’appartiens, l’antigaullisme a surtout fleuri dans le cadre de l’affaire algérienne. Compte tenu de la manière affreuse dont celle-ci s’est terminée, je peux comprendre que certaines plaies n’aient jamais cicatrisé, même si je suis aujourd’hui convaincu qu’il n’était ni possible ni souhaitable de conserver l’Algérie dans la République française. De Gaulle s’en est rendu compte quand il a perçu les réalités démographiques. Les choses auraient-elles pu mieux se passer ? Je n’en suis pas certain, mais on peut en discuter. Le problème, malheureusement, c’est que l’antigaullisme est en général si passionnel qu’aucune discussion raisonnable n’est possible. La preuve en est dans la façon dont tant d’anciens partisans de l’Algérie française se sont mécaniquement opposés au Général dans tous les autres domaines où il méritait d’être soutenu.

    J’en vois pour ma part au moins trois. D’abord le domaine institutionnel. En instaurant un régime semi-présidentiel, la Constitution de la Ve République, mise au point par Michel Debré et René Capitant (ancien lecteur de Carl Schmitt), puis adoptée massivement par voie de référendum, a permis de sortir de l’instabilité chronique des régimes précédents, et surtout de retrouver une souveraineté populaire nettement distinguée de celle des partis. « En France, disait de Gaulle, la Cour suprême, c’est le peuple. » L’élection du chef de l’État au suffrage universel a permis, parallèlement, de rappeler que le peuple est le détenteur du pouvoir constituant. C’est le deuxième point essentiel. De Gaulle a systématiquement soumis ses grandes décisions à la sanction du référendum. Quand une coalition d’atlantistes et de notables lui a fait perdre celui de 1969, il a immédiatement remis sa démission. Un tel exemple n’a jamais été suivi, notamment en 2005, après le « non » à l’Europe de Maastricht. Il est significatif qu’aujourd’hui, les partisans d’un recours au référendum sur les questions qui engagent l’avenir se situent surtout dans l’opposition.

    Le troisième domaine est évidemment la recherche de l’indépendance nationale, qui a véritablement été l’axe majeur du gaullisme. En pleine guerre froide, à une époque où l’on tentait de faire croire que l’on n’avait le choix qu’entre le bloc soviétique et le monde « libre », de Gaulle a su comprendre, en visionnaire, la nécessité d’ouvrir dans la logique des blocs issue du système de Yalta une troisième voie (entre l’Est et l’Ouest, entre le capitalisme et le communisme) consistant à n’être le vassal de personne. Il a ouvert là une perspective dont on voit bien, aujourd’hui, qu’elle constitue l’enjeu principal de l’existence même de notre peuple.

    Est-il possible d’être un gaullien politique sans forcément se réclamer du gaullisme historique ?

    Dès que l’on en tient pour la primauté du politique, que l’on estime que la politique de la France « ne se joue pas à la corbeille », qu’on voit dans la société autre chose qu’un empilement d’intérêts privés, qu’on mesure l’ampleur des divergences d’intérêts entre le continent européen et la puissance maritime américaine, qu’on en tient pour le volontarisme contre le fatalisme, que l’on estime que le rôle du Conseil constitutionnel est de vérifier la constitutionnalité des lois et non leur conformité à l’idéologie des droits de l’homme, qu’on se refuse à laisser à d’autres le soin de désigner nos adversaires, que l’on croit que « la démocratie, c’est le gouvernement du peuple exerçant sa souveraineté sans entrave » (27 mai 1942), que l’on veut une France française dans une Europe européenne (« depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural »), on est nécessairement gaullien, même si l’on ne se dit pas gaulliste.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 31 mai 2020)

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  • Docteur Molière et Mister Diafoirus...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet, cueilli sur le site de la revue Eléments et consacré aux descendants du docteur Diafoirus, qui occupent le devant de la scène depuis le début de la crise sanitaire. Journaliste et essayiste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a notamment publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017) et Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2019).

     

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    Biopolitique du coronavirus (6). Docteur Molière et Mister Diafoirus

    – Quoi de neuf ?
    « Molièrrre », répondait inlassablement Sacha Guitry, de sa voix de velours. Molière toujours recommencé. On aurait pu croire notre gloire nationale dépassée par les progrès de la science, renvoyée dans d’obscurs âges médicaux quand la secte des médicastres formait une redoutable bande de fossoyeurs – en plus chers et plus verbeux. Il n’en est rien. La médecine coronavirale sous tutelle publique confine toujours comme au bon vieux temps de la peste, elle interdit toujours de voir la dépouille des défunts comme au temps du choléra et elle dépêche aux cas désespérés Michel Cymes, la coqueluche des Ehpad, pour annoncer aux derniers résidents qu’ils ne survivront pas à ses blagues. Mais pas de panique, les vieux, y’aura des masques pour la prochaine épidémie !

    Le coup est rude pour Hippocrate. Il y a à peine trois mois, la médecine rêvait en grand, une nouvelle ère s’ouvrait, l’homme augmenté, les nanotechnologies, l’intelligence artificielle. Aux dernières nouvelles, seuls les respirateurs sont artificiels. La médecine, qui avait avantageusement remplacé les curés, du moins avait-elle fini par s’en convaincre, avait oublié l’essentiel : il faut quelqu’un pour administrer les derniers sacrements – en débranchant les malades. La voici donc de nouveau aussi désarmée, aussi hébétée, aussi impuissante, qu’au temps de Molière. Bien sûr, elle ne dit plus aux malheureux : « Souffrez, on s’occupe du reste ! », elle a ajouté une pincée de paracétamol. Prenez du Doliprane en somme, et on s’occupera du reste !

    Pharmafoirus en digne héritier

    On peine à déceler sous les traits des bureaucrates du ministère de la Santé et des barbons sortis de cet Ehpad qu’est l’Académie de médecine, tous choisis par Macron en personne, des avatars, même lointains, du docteur Diafoirus. C’est pourtant lui qui régente notre santé. Son champ de rayonnement s’est même considérablement élargi, si bien qu’il faudrait l’appeler Pharmafoirus. Comme son ancêtre, Pharmafoirus s’est fait une spécialité de soigner des maladies qui n’existent pas, selon la forte doctrine et parole du docteur Knock. Là où Diafoirus assommait de noms latins les dupes qu’il dénichait, il vous abreuve de molécules aux formules alambiquées. Là où son ancêtre multipliait les lavements purgatifs en vous enfonçant dans les fesses des seringues anatomiquement monstrueuses, grosses comme des pompes à vélo rustiques, lui vous vaccine des shoots fixés à l’alu. Là où il faisait des saignées à en crever, il intube jusqu’à l’asphyxie.

    La peste soit de Didier Raoult

    Pharmafoirus n’a pas de visage, rien que des masques successifs (quelle ironie à l’heure où il ne parvient pas en fabriquer en quantité suffisante). S’il y en a deux à épingler, bien grimaçants, farcis de morgue, dans le musée des horreurs médicales, c’est le couple infernal Agnès Buzyn-Yves Lévy. La survaccination précoce en France, c’est elle. Le lobbying vaccinal, c’est lui. La multiplication des conflits d’intérêt, c’est eux. La demande d’assouplissement des règles sur les conflits d’intérêt, c’est elle. Le Raoult bashing, c’est eux aussi, c’est eux d’abord – et Didier Raoult ne s’est pas privé de le rappeler, quand les « fondamentalistes de l’Inserm », alors dirigé par Yves Lévy, ont voulu mettre en coupe réglée les Instituts hospitalo-universitaires (IHU), dont le sien. Tout cela a été dit et redit.

    C’est la « génération Sida », pour parler comme l’infectiologue marseillais, la maladie des élites culturelles, pas des Gilets jaunes, comme on s’en doute, plus Téléthon que Sidaction, mais chut ! Pierre Bergé pouvait dauber autant que son argent le lui autorisait les priorités philanthropiques des ploucs, l’inverse n’est pas possible. Dont acte.

    Cette génération, ce n’est pas seulement Yves Lévy, c’est aussi Jean-François Delfraissy, à la tête du Conseil scientifique de l’Élysée et Françoise Barré-Sinoussi, à la tête du CARE (Comité analyse recherche et expertise) – encore un pseudopode inutile fraîchement créé par l’exécutif, qui vient redoubler les avis du Conseil scientifique (pour une affaire d’ego sûrement). Clemenceau recommandait de nommer des commissions pour enterrer les problèmes. Nous, on fait mieux : on crée des problèmes en multipliant les commissions.

    Génération Sida

    Au passage, quel linguiste charitable viendra couper le robinet d’eau tiède de ce vocabulaire psychologisant, compassionnel, anglicisé de surcroît, trempé dans les sucreries des niaiseries cucumanitaires. Quoi de plus saugrenu que le CARE ! L’État français n’est pas une ONG, que diable ! Et pourquoi lancer aussi prématurément (et triomphalement) une opération Résilience, alors qu’on vient à peine d’entrer dans la phase épidémique – et pas post-traumatique, que l’on sache. De quoi le Covid-19 serait-il résilient à ce stade, sinon de l’incurie et de l’incompétence de l’exécutif ? Tous ces kilotonnes de sollicitude recyclés par la novlangue des communicants finissent par ne plus rien dire à force de tout dire. Fatalité du macronisme né d’un coup de force médiatique, sa gestion de crise porte la marque de la communication dont il procède. Or, cette communication de crise a été conçue pour gérer les infidélités de Monsieur et la couleur des robes de Madame, pas pour affronter des pandémies. La gestion devient alors gesticulation.

    Revenons à cette génération dorée et tapis rouge, cliniquement parlant. Elle cherche un vaccin contre le Sida depuis bientôt 40 ans comme d’autres cherchaient l’or des Incas. La quête de cet Eldorado a englouti des milliards. À ce niveau de gabegie, la recherche ne se résume plus qu’à la recherche de financement pour financer le financement de la recherche de financement.

    Cocoricovid

    L’avenir dira si Raoult et ses équipes se sont trompés. Il suffira de comparer les niveaux de pénétration épidémique à Marseille et dans le reste de la France. Les déclarations du professeur auront en tout cas permis de donner un fantastique coup de pied dans la termitière médicale, et accessoirement de mettre le dépistage à l’ordre du jour en France. On s’étonne d’ailleurs que ce dépistage, dont la quasi-obligation est placardée dans tous les cabinets médicaux de France, ait pu faire l’objet d’un tel tir de barrage. Raoult ? Allez savoir !

    Curieux pays. On tient enfin une pointure internationale, il faut qu’on lui savonne la planche. Les Marseillais, enorgueillis et retrouvant les accents tarasconnais de Tartarin, croient rejouer gagnant le Classico, mais le vrai match, c’est celui qui oppose les élites, certes parisiennes, et le peuple. Ce dernier se tient prêt à lancer des Cococorico, Cocoricovid, en faisant une belle quenelle au Système. Raoult est son champion, n’a-t-il pas eu droit à un tweet décoiffant de Trump, le plus grand performer artistique du moment, qui soit dit en passant ressemble de plus en plus à Michou.

    Les fans de Raoult l’ont comparé au druide Panoramix. C’est flatteur. La vérité, c’est qu’on ne sait pas si Raoult est Panoramix ou Amnésix, le druide chargé de guérir Panoramix dans Le Combat des chefs, après qu’un lancer supersonique de menhir, œuvre de cette godiche d’Obélix, l’eut heurté (Amnésix aussi du reste) : génial tout court ou génial mais fou ? Pasteur ou Pastis ? Ou les deux peut-être.

    À son actif, il soigne les maladies sans traitement connu comme on devrait les traiter : empiriquement, à tâtons, en bricolant, en se trompant, comme les pionniers, comme les aventuriers.

    – Ouh là là, objectent ses détracteurs ! Vous n’y pensez pas ! Et la méthodologie ? Et le protocole thérapeutique ? Et le code de la route ?

    Oh les gars, il ne part pas en vacances, le Raoult, il conduit une ambulance à 180 km/heure dans un système hospitalier embouteillé par les malades.

    – Pfuit, populiste va !

    C’est ce qu’un chef de service, la cruche du jour, lui a reproché (du « populisme médical »). Il a été entendu. Pharmafoirus a donc décidé – très officiellement, très hippocratiquement et très méthodiquement – de tester l’hydroxychloroquine sur des souris pendant six mois, puis sur des lapins blancs en période de reproduction, puis sur Agnès Buzin, avant de délibérer aux voix entre le comité Théodule, j’ai nommé le Conseil scientifique, et le comité Théophraste, j’ai nommé le CARE et l’ego de Madame Barré-Sinoussi. Et quand il y aura 100 000 morts, on administrera enfin la chloroquine, mais aux survivants. La belle affaire !

    L’anti-discours de la méthode

    Franchement, la méthode, on s’en fout, comme du protocole. Il n’y a pas de méthode qui tienne ici. Feu le professeur Lucien Israël, un sacré bonhomme et une sacrée pointure, disait des protocoles thérapeutiques que c’était le sommet de la médiocrité médicale. Raoult ne dit pas autre chose, la truculence en plus. Le « paradigme du parachute » et la « méthode de Tom » racontés par lui, c’est du Jean Yanne. Ils devraient être enseignés dans tous les amphis de médecine. Leur irréfutabilité jetterait Karl Popper dans la perplexité.

    La vérité, c’est que la plupart des grandes choses qui ont changé le cour de l’histoire ont été faites sans protocole. Mieux et plus encore : elles n’ont été rendues possible que parce qu’il s’est trouvé quelqu’un qui a jeté par la fenêtre ce putain de protocole. Comment comprendre autrement « la lettre tue, l’Esprit vivifie », règle de vie ? Le protocole, c’est fait pour les cons, pour les docteurs de la loi, pour les pharisiens, pour Adolf Eichmann. Eichmann suivait le protocole à la lettre. Amen !

    Quand on sait d’ailleurs comment fonctionnent les comités de lecture « indépendant »… Les joyeux lurons qui ont publié le canular sur la culture du viol dans les jardins publics chez les chiens sont intarissables sur le niveau intellectuel de ces revues savantes. Mention spéciale dans leur papier aux discriminations contre la gent canine queer, même pas relevé par les membres du jury. À ce niveau d’« hénaurmité », la méthodologie rappelle furieusement la scolastique et la syllogistique brocardées par Rabelais. Alfred Jarry et le Docteur Faustroll ne sont pas loin. Il y a toute une littérature savante consacrée au sujet depuis l’étude pionnière de John Ioannidis, « Pourquoi la plupart des résultats de recherche publiés sont faux » (Stanford University, 2005). Les « Monsanto papers » ont révélé combien la FDA, la Food and Drug Administration, la principale agence américaine, était gangrenée jusqu’à l’os.

    Lisez l’excellent blog « Anthropo-logiques » de Jean-Dominique Michel, anthropologue médical suisse, parfait connaisseur des arcanes du monde médical. Lui parle de « corruption systémique », c’est-à-dire que la corruption est endogène au système de santé, elle en est même la signature génétique. Médecins, industriels, agences publiques, la relation est devenue incestueuse, au point d’accoucher elle aussi de monstruosités : les scandales sanitaires (Mediator, Dépakine, Vioxx, crise des opioïdes, etc.) Crime organisé, a pu dire le chercheur Peter Gøtzsche, cofondateur de la plus grande veille mondiale sur Big Pharma. Alors, après le crime en col blanc, le crime en blouse blanche ?

    La faillite d’un système

    C’est tout un système qui a fait faillite, privé et public dans le plus parfait mélange des genres – les labos, le ministère de la Santé, les agences sanitaires gouvernementales, les mandarins de la Faculté de médecine. Ah, ces mandarins ! Ouvrez Les Morticoles (1894) de Léon Daudet. C’est Molière à 250 ans de distance, une fable outrancière, swiftienne, contre les toquades médicales, très proche, la comparaison surprendra, de la Némésis médicale (1975) d’Ivan Illich.

    Et encore ni Léon Daudet ni Molière ne connaissaient le médecin fonctionnaire, le rond-de-cuir de la santé, le technocrate médical qui gèrent le coronavirus avec des tableaux Excel en télétravail. Le directeur de l’Agence régionale de Santé du Grand Est (évidemment nommé par l’État, à la tête d’une région sans autre existence qu’administrative) faisait les deux. Christophe Lannelongue de son nom. Il faut encadrer ce patronyme et le signaler à l’attention de la postérité. Auto-confiné à Paris, ce haut fonctionnaire pilotait depuis sa cuisine, chocolat chaud à la main, la réponse de l’État à l’offensive du Covid dans le Haut-Rhin, tout en déclarant, début avril, toujours depuis sa cuisine parisienne, à des journalistes de L’Est républicain interloqués, qu’il était hors de question, pandémie ou pas, d’interrompre la suppression de postes et de lits au CHRU de Nancy, alors qu’on en cherchait désespérément ! Macron l’a limogé, quand bien même il ne faisait qu’appliquer scrupuleusement la feuille de route présidentielle.

    De Max Weber à Michel Crozier, une sociologie plutôt conservatrice a montré comment dans les univers impersonnels et déshumanisés se développait parfois une « personnalité bureaucratique », généralement étriquée, vouée à élargir sans arrêt son périmètre de pouvoir. Le lebensraum du fonctionnaire et de son coup de tampon ! C’est fou ce que le pouvoir de donner un coup de tampon confère de pouvoir à celui qui tient le tampon. La délivrance des homologations pour fabriquer des masques ou faire des tests nous en a fourni un aperçu. Combien de laboratoires ont-ils couru après une autorisation administrative qui n’est peut-être toujours pas arrivée ?

    Mais ce n’est rien à côté de l’administration centrale. Du haut du ministère de la Santé, forte de son jacobinisme criminel, elle a fusionné les organismes comme on a fusionné les régions et les communes, avec une règle de calcul, des préjugés technocratiques et une méconnaissance totale des réalités du terrain. En est sortie une super-usine à gaz (les seules qu’on fabrique encore en France). Voici en deux mots l’histoire de l’Agence nationale de santé publique, créée en 2016, sur la base d’un rapport lui-même issu de rapports eux-mêmes issus de rapports qui ressemblent à tous les autres rapports qu’on peut lire dans d’autres rapports, les uns et les autres baptisés, par ironie on suppose, rapports d’activités, alors que l’activité principale se résume à rédiger des rapports. Inévitablement, cette Agence nationale qui a tout refondu a englouti l’organisme qui gérait les stocks stratégiques de médicaments et matériel. Zou, à la trappe.

    En rupture de stock

    On fera valoir que cette notion de stock est désormais une hérésie comptable appartenant à l’ancien temps. À l’heure de la mondialisation et des flux tendus, le meilleur des stocks, c’est l’absence de stocks, fussent-ils stratégiques. Si du reste il n’y a plus de stocks stratégiques, on en induit, comme on nous a appris à le faire à l’école, qu’il n’y a plus de stratégie du tout.

    Tout cela n’a d’ailleurs pas empêché l’État de préempter les stocks d’hydroxychloroquine – subitement les réserves stratégiques reprenaient tout leur sens –  pour les formes sévères de Covid alors qu’il apparaît que la molécule est inefficace quand elle est prise en phase de détresse respiratoire. Pour une fois, miracle, nulle pénurie à l’horizon. Aïe ! On a donc décidé d’en créer une, sur-le-champ, en asséchant les stocks de la molécule (et pendant ce temps-là, le groupe « français » Sanofi, fabricant de ladite molécule, a choisi de la distribuer gratuitement un peu partout dans le monde, 100 millions de doses quand même). En rupture de stock, ce pourrait être le titre de la tragi-comédie nationale qui tient l’affiche depuis deux mois. En rupture de masques, en rupture de tests, en rupture de soignants, en rupture de lits, en rupture d’imagination, en rupture de chefs. Régis Debray nous a récemment rappelé un des derniers mots de Malraux à qui on demandait peu de temps avant sa mort ce qui caractérisait notre âge : « L’absence de décision », répondit-il laconiquement, pour une fois. Que dirait-il aujourd’hui ? Des comités, des commissions, des instances consultatives à n’en plus finir. Toujours repousser la prise de décision, toujours les atermoiements. Personne ne veut choisir, on préfère en déléguer le soin à la « méthode ». La méthode, c’est indifféremment les protocoles, les procédures, les normes, les lois, les règles. Pour le reste, la procrastination préside à l’absence de décision. Ici aussi, le décisionnisme schmittien – on le redit, l’essence du politique, ce qui fonde sa souveraineté – a été battu en brèche par le normativisme, car il y a un normativisme médical, pas seulement juridique. Cette faillite de la décision est générale, elle affecte autant le savant que le politique, pour parler comme Max Weber, chacun dans son registre respectif. Plus encore peut-être en France où, tradition jacobine et saint-simonienne oblige, l’administration des choses depuis Paris s’est substituée au gouvernement des hommes depuis chez eux. Ce qui veut dire, en bon français, qu’on est vraiment dans la merde…

    François Bousquet (Éléments, 24 avril 2020)

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  • Confinez-vous avec : ... La notion de politique, de Carl Schmitt !

    Avec la crise du coronavirus, les maisons d'édition reportent la publication de leurs nouveautés à des jours meilleurs. Cette période sera donc l'occasion de vous signaler, au gré de l'inspiration du moment, des ouvrages, disponibles sur les sites de librairie en ligne (ceux dont l'activité se poursuit...), qui méritent d'être découverts ou "redécouverts".

    On peut trouver aux éditions Flammarion, dans la collection Champs, un essai de Carl Schmitt intitulé La notion de politique.  De nationalité allemande, juriste et philosophe du politique, ami d'Ernst Jünger, Carl Schmitt est l'auteur d'une œuvre dont l'ampleur fait de lui une figure centrale de la pensée politique.

     

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    " Deux textes majeurs de Carl Schmitt sont réunis dans ce livre. La Notion de politique (1932) expose les thèses qui forment le coeur de sa pensée : l'Etat ne se confond pas avec la politique, il n'en est qu'une expression historique et périssable. Le politique lui-même est le lieu de discrimination de l'ami et de l'ennemi. Dans l'époque moderne, l'Etat est cette instance qui désigne l'ennemi et décide de la guerre ou de la paix. Théorie du partisan (1962) examine la situation créée par l'effritement du monopole politique de l'Etat à partir de 1945, quand le conflit se généralise du fait de la politisation de toutes les sphères de la vie sociale. Apparaît alors le partisan, que nous appelons parfois le terroriste, combattant de cette guerre totale et figure emblématique de notre modernité. "

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  • L'affolement du monde...

    Les éditions Tallandier viennent de rééditer en collection de poche un essai récent de Thomas Gomart intitulé L'affolement du monde - 10 enjeux géopolitiques. L'ouvrage est très riche, équilibré et agréable à lire. Et on notera que dans son chapitre consacré à la lutte pour le contrôle des espaces, l'auteur fait largement référence à Carl Schmitt !

    Historien et directeur de l'Institut français des relations internationales, Thomas Gomart est membre des comités de rédaction de Politique étrangère, de la Revue des deux mondes et d'Etudes.

     

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    " Plus rien ne régule la bonne marche de la planète : rupture d'accords, alliances fragilisées, affaiblissement des démocraties, basculement géoéconomique vers l'Asie, menaces nationalistes et écologiques... le monde est-il devenu incontrôlable ? Avec son double regard d'historien et de spécialiste des relations internationales, Thomas Gomart souligne la mutation inédite des rapports de force ― ascension de la Chine, unilatéralisme des États-Unis, fragmentation de l'Europe, retour de la Russie ― et des sujets transversaux comme l'énergie et le climat, les transformations de la guerre, le cyber ou la pression démographique et migratoire. Avec une grande clarté, il invite les Européens à un exercice de lucidité sur un monde de moins en moins à leur image. "

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  • Tour d'horizon... (179)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Youtube, une conférence donnée par Johann Chapoutot devant l'Académie Royale de Belgique au cours du Colloque intitulé " Le pouvoir des intellectuels, le « pouvoir des sans-pouvoir » " et consacrée à Carl Schmitt...

    Carl Schmitt, un intellectuel au service du nazisme

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    - sur In Limine, un texte de 2005 du philosophe Philippe Granarolo, consacré à une approche critique nietzschéenne des biotechnologies...

    Éléments nietzschéens pour une critique des biotechnologies

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  • Toutes les violences ne sont pas destructrices !...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question de la violence, notamment politique. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « La violence peut être parfois condamnable, mais je ne la condamne pas par principe ! »

    Aujourd’hui, toute action politique peut se trouver disqualifiée, en termes médiatiques s’entend, dès lors qu’elle en vient à s’exprimer de façon violente, que cette violence soit réelle ou supposée. C’est donc l’effet qui se trouve condamné, et non point la cause. Angélisme ou cynisme ?

    Je dirais plutôt : « mécompréhension ». La condamnation sans nuances de la violence est le fait, d’une part, des pacifistes, qui se retrouvent du même coup condamnés à « faire la guerre à la guerre », position inconfortable, d’autre part, de l’éternel parti bourgeois, acquis aux idées libérales, qui s’imagine que la discussion, la négociation, le compromis, voire le « doux commerce », peuvent toujours permettre d’éviter l’affrontement. Les maîtres de l’idéologie dominante capitalisent sur cette condamnation inconditionnelle de la violence pour se prémunir contre les insurrections qu’ils redoutent. Mais une telle attitude est irréaliste. La violence est un caméléon. Non seulement elle est omniprésente et protéiforme, mais elle n’apparaît pas toujours comme telle. Elle est partout, même là où on ne la voit pas.

    À la violence ouverte, explosive, s’ajoute la violence structurelle, systémique et virale. La dérégulation libérale est une violence, le conditionnement publicitaire, la propagande de la pensée unique, l’esclavage du salariat, les aliénations dont le monde moderne est le lieu, la mondialisation elle-même, sont autant de formes de violence. La politique s’apparente elle aussi à la guerre dans la mesure où son critère essentiel est la distinction de l’ami et de l’ennemi. En politique, seul est souverain celui qui décide, et la décision est également une façon de mettre un terme aux parlotes et aux palabres.

    « Une planète définitivement pacifiée », écrit Carl Schmitt, « serait un monde sans politique. » Le droit lui-même ne peut être instauré et garanti que par un rapport de force. Quant aux révolutions, inutile de rappeler qu’elles n’ont jamais été des promenades de santé. Il n’y a tout simplement pas de vie en société sans la possibilité d’une violence.

    La violence, je la condamne personnellement souvent, je dirais même le plus souvent, surtout quand elle est gratuite, stupide et contre-productrice, mais je ne la condamnerai jamais par principe. Tout dépend des circonstances et du contexte. Dans les affaires humaines, il ne faut jamais se prononcer sur des abstractions, qu’il s’agisse de la violence (à quelle fin s’exerce-t-elle ? Par quels moyens ?), de l’immigration (qui immigre ?) ou de l’avortement (qui avorte ?). Toutes les violences ne sont pas destructrices. Elles peuvent aussi être fondatrices. Pendant la guerre, tous les mouvements de résistance ont fait usage de la violence. À l’époque de la décolonisation, tous les mouvements de libération en ont fait autant – et avec succès.

    Une formule canonique, attribuée à Max Weber, réserve à l’État le « monopole de la violence légitime ». Quand on voit l’état actuel des choses, ne peut-on pas dire que l’État a depuis longtemps perdu ce monopole ?

    Notons d’abord qu’on ne peut prétendre avoir le monopole de la violence légitime qu’aussi longtemps qu’on est soi-même légitime. La notion de légitimité est donc centrale, dans cette affaire. Un gouvernement, même régulièrement élu, peut perdre sa légitimité de bien des façons. Il n’est a priori légitime qu’à la condition de servir le bien commun en assurant la paix à l’extérieur et la concorde à l’intérieur. Face à une autorité devenue illégitime, à un État qui ne fait plus son travail, à des dirigeants qui ne se préoccupent plus que de leurs seuls intérêts, le contrat social est rompu et les citoyens doivent prendre leurs responsabilités car, comme l’observe Éric Werner (Légitimité de l’autodéfense), « il est bon en soi de se défendre ».

    Bien entendu, une déclaration d’illégitimité peut être tout à fait arbitraire et injustifiée, j’en suis bien conscient. Mais ce qu’il faut retenir est que, contrairement à ce que prétend le positivisme juridique, la légalité et la légitimité ne sont pas synonymes. D’où l’éternel combat d’Antigone contre Créon.

    Aujourd’hui, le « monopole » dont parlait Weber est effectivement partout battu en brèche. Nombre de guerres opposent désormais acteurs étatiques et non étatiques. Ce n’est pas nouveau : Clausewitz donnait déjà le nom de « petite guerre » à la guerre de partisans, à laquelle se rattache également le terrorisme. Violences sur la voie publique, violences sexuelles, violences conjugales, la violence brutale est partout : elle éclate dans la rue, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les transports. Dans certaines banlieues, elle est devenue un mode de vie. Cela signifie qu’aux yeux d’un nombre croissant d’individus, elle devient acceptable. Face à cette violence, les « appels à la raison » ne peuvent que tomber dans le vide. Seule la force peut briser la force.

    Quid de la violence que l’on a vue s’exprimer en marge du mouvement des gilets jaunes ?

    Il ne faut pas s’y tromper, la violence qui s’est révélée lors des manifestations des gilets jaunes a d’abord été la violence étatique. Les forces de police n’ont pas été chargées de maintenir l’ordre mais de faire de la répression. Elles l’ont fait avec une violence dont on n’avait pas vu l’équivalent depuis la guerre d’Algérie – et dont les pouvoirs publics n’ont jamais fait usage à l’encontre des racailles des banlieues. Bien des gilets jaunes ont subi de véritables blessures de guerre : mains arrachées, yeux crevés, visages défigurés. Au total, 2.200 blessés parmi les manifestants, dont plus de 200 blessures à la tête, sans oublier les procès devant les tribunaux, là encore beaucoup plus sévères qu’avec les voyous et les bandits : 1.800 condamnations, 1.300 comparutions immédiates, 300 incarcérations. À cela s’est ajoutée la violence provocatrice des Black Blocs qu’il était parfaitement possible d’enrayer, mais qu’on a objectivement encouragée pour discréditer le mouvement. Enfin, il y a eu des actes de violence de la part des gilets jaunes qui, eux, ont au moins servi à faire reculer le gouvernement. S’ils étaient allés plus loin, il aurait peut-être reculé plus encore. Ce n’est, en tout cas, pas moi qui vais pleurer sur l’incendie du Fouquet’s !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 4 décembre 2019)

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